Faites de la place aux femmes

A l’occasion de la journée Internationale du droit des Femmes, EQUITONE s’interroge sur la place des femmes dans l’urbanisme et l’architecture. Pour tenter d’y répondre, nous avons posé la question à Anne LABROILLE.

Architecte DPLG – urbaniste diplômée de l’Ecole d’Architecture et de Paysage de Bordeaux, Vice-présidente de l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France, Vice-présidente de la Maison de l’Architecture d’Ile-de-France et Maîtresse de conférence associée à l’Université Paris Nanterre, Anne LABROILLE a co-fondé en 2017, l’association MéMO (Mouvement pour l’Equité dans la Maitrise d’Œuvre).C’est avec l’expérience de ses différentes casquettes qu’elle aborde le sujet et nous apporte son témoignage.

Faites de la place aux femmes

Anne LABROILLE

La création de l’association a été pour moi le début d’une nouvelle carrière. A l’époque nous étions plusieurs copines à monter notre propre agence. Nous qui avions travaillé sur des projets importants pour des grandes agences, nous avions toutes les peines à accéder à des gros budgets. Nous pensions que le problème venait de nous et nous nous remettions en question. Avec la création de MéMO, j’ai découvert que d’autres femmes avaient les mêmes difficultés et que le phénomène ne venait pas forcément de nous, mais de la place des femmes dans l’architecture.

Quelle place occupent les femmes au sein de la profession d’architecte en 2022 ?

Le métier d’architecte est traditionnellement très masculin. Le monde “des chantiers” est dur. Les choses commencent à changer mais la féminisation de la profession cache encore des inégalités. Les femmes ont régulièrement des postes subalternes. L’accès aux responsabilités passe aussi par les réseaux (politique, sportifs, clubs, …), or ceux-ci restent souvent réservés aux hommes. D’où l’importance des mouvements comme l’association MéMO, pour aider les femmes à faire évoluer leur rôle et promouvoir l’égalité.

Quelle place occupent les femmes dans l’aménagement des espaces publics ?

De nombreuses recherches ont montré que l’espace public est fait pour les hommes. Quand on pose la question du genre dans l’espace public, tous les acteurs de l’aménagement sont persuadés d’agir pour le plus grand nombre. Il faut reconnaître que dans un contexte patriarcal, les architectes ne sont pas du tout formés aux questions du genre. Ils apprennent le métier d’architecte pour tout le monde, sans distinction du genre. C’est une vision universaliste fausse.

Il suffit de se poster à un endroit et d’observer réellement, les hommes et les femmes qui s’y trouvent à un moment donné, pour comprendre que les villes favorisent, de manière consciente ou inconsciente, des usages majoritairement masculins. Les hommes occupent l’espace, les femmes passent…

Equipements sportifs, aires de jeux, skate-parks… l’essentiel des installations sert uniquement aux garçons. Dès leur plus jeune âge, dans la cour de récré, les filles sont reléguées aux marges…

On estime que les inégalités ont des causes sociales. Mais si les améliorations ne peuvent venir que du sociétal, les plans d’aménagement urbains ont également un rôle à jouer. C’est une démarche complémentaire.

Comment rendre la ville plus égalitaire entre les hommes et les femmes ?

L’architecture doit mener une réflexion d’ensemble pour favoriser la conception de territoires plus inclusifs, adaptés à tous : amener une richesse d’usages, briser la centralité, travailler en archipels plutôt qu’en espaces ultra centralisés, créer des ambiances et des lieux d’intimité, apporter de la végétalisation, afin de créer les conditions dans lesquelles les femmes se sentiront plus à l’aise.

Il ne s’agit pas de séparer les flux mais au contraire, de créer les conditions d’une véritable mixité, source de richesse. Pas seulement pour les femmes, mais pour l’ensemble des populations qui vivent dans ces espaces.

Quelle place pour les femmes demain ?

Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien entre cette place inégalitaire dans l’espace public et les inégalités qui perdurent dans notre métier d’architecte. C’est pourquoi, avec Mémo, notre objectif est de faire évoluer les mentalités afin d’obtenir plus d’équité entre les femmes et les hommes.

Je suis assez optimiste pour les jeunes générations car elles sont très conscientes de l’enjeu et elles sont plus audacieuses. Mais la profession reste tellement fermée que la question de la place des femmes est toujours très compliquée. Si elles sont maintenant 60 % dans les écoles d’architecture, le chiffre tombe dans la profession, en particulier en tant que chef d’entreprise.

Pour que les femmes se sentent légitimes, il faut continuer à faire beaucoup de pédagogie et valoriser les carrières de femmes architectes, afin que les étudiantes puissent s’inspirer des modèles féminins existants.

Vendredi 8 avril 2022 à 20h, l’ordre des architectes ile de France organise une soirée sur le thème de l’égalité femmes-hommes dans la profession d’architecte, au sein de la Chapelle des Récollets à Paris. Inscription sur le site www.architectes-idf.org

Faites de la place aux femmes

Anne Labroille a conçu le projet de Cité audacieuse, premier lieu dédié au rayonnement des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes en France.